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jeudi mars 2, 2023

Tribune « Une relance nucléaire décidée dans le plus grand mépris démocratique » parue dans Le Monde le 02/03/2023


Une relance nucléaire, quoi qu’il en coûte ?
À l’initiative de Marine Tondelier, Secrétaire nationale d’EELV, de Daniel Salmon et
Julie Laernoes, chefs de file écologistes sur le projet de loi ‘’Accélération du nucléaire’’1
au Parlement.

Cette tribune, à l’initiative des écologistes, est un appel à soutenir les membres de l’IRSN
– Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire – actuellement mobilisés pour défendre
leur institution et les valeurs qu’elle agrège : « excellence, indépendance, partage et
anticipation
»2 . Elle alerte sur la situation dégradée de la sûreté nucléaire et d’une relance
de l’atome au prix de la sûreté et de la sécurité des citoyens. Plus largement, c’est un appel
à préserver notre démocratie en exigeant un débat public à la hauteur des choix qui
déterminent notre avenir énergétique et, indissociablement, la réussite de notre transition
écologique.

Que deviendrait la démocratie sans le concours des contre-pouvoirs qui la maintiennent
face aux épreuves qu’elle traverse : les conflits armés, le dérèglement climatique, ou encore les
risques d’accidents nucléaires ?
Qu’une relance nucléaire ait été décidée au plus grand mépris démocratique, faisant fi
du fiasco industriel et financier de la filière est un fait. Qu’elle le soit au mépris de la
sûreté et de la sécurité des citoyens en est un autre.

En effet, le processus d’affaiblissement des contre-pouvoirs – qui se déroule sous nos yeux
alors que l’attention est ailleurs – se durcit avec un ultime fait du prince : l’annonce du
démantèlement de l’IRSN, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire.
Désormais
toutes les expressions potentielles de contestation ont été contournées. Dès lors, comment
exprimer ses oppositions légitimes à une relance nucléaire massive, avec la construction
de 6 nouveaux réacteurs, finalement déjà décidée ?
Preuve d’une volonté d’un passage en
force, le Conseil Politique Nucléaire du 3 février 2023 institue une méthode ad hoc : se réunir
deux fois par an pour s’auto-saisir de la politique nucléaire de la France.

Ni le débat parlementaire, ni le débat citoyen n’ont été respectés. En janvier, au Sénat, la
loi ‘’d’accélération du nucléaire’’3 – dont Daniel Salmon, sénateur écologiste, était le chef de
file pour le Groupe Écologiste, Solidarité et Territoires – a été votée, avant même que le débat
public mené par la Commission Nationale du Débat Public n’ait rendu ses conclusions. De
multiples dérogations administratives accordées, notamment à l’encontre du droit de
l’environnement, posent désormais les jalons de la relance nucléaire et affirment que le
développement des énergies renouvelables ne doit pas faire barrage à celui de l’atome.
Maintenant, le gouvernement anticipe les éventuelles réserves des institutions chargées
de l’expertise. Maintenant, c’est au tour des députés écologistes et leur cheffe de file, Julie
Laernoes, de poursuivre le débat à la lumière de cette nouvelle configuration.

Quelle que soit la question posée et ses enjeux, que l’on soit pour ou contre le nucléaire, la
maîtrise du risque majeur d’accidents nucléaires doit être un préalable à toute décision.


Pour ou Contre la relance nucléaire, il y a débat ; mais toutes et tous Pour la sûreté et un choix démocratique éclairé


Dans ce cadre, s’il y a bien une institution que les écologistes défendent, c’est une institution
qui fournit une expertise indépendante et hautement compétente en synergie avec la recherche,
c’est-à-dire l’IRSN.
L’IRSN apporte une expertise indépendante de la décision qui relève de l’ASN, l’Autorité
de sûreté nucléaire.
Comme le déplore la commission d’éthique et de déontologie de l’IRSN
dans son communiqué du 15 février 2023 : « la confusion entre expertise et prise de décision
constituerait un recul considérable puisqu’il priverait d’indépendance cette expertise
»4 . Avec
l’institut disparaissent un « garde-fou institutionnel » et « son expertise de haute qualité
reconnue internationalement
», d’autant que « l’IRSN n’a jamais failli dans ses missions au
bénéfice de la sécurité et de la sûreté
»,5 comme l’a soutenu avec force Daniel Breuiller,
sénateur du Groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, en interpellant la Ministre de la
transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, lors des questions au gouvernement du 15
février.

L’Institut fait bien plus encore : intrinsèquement, par son statut et sa charte, il préserve
notre démocratie.
Car la démocratie, c’est aussi l’accès à l’information, préalable à tous
débats. Sur des sujets aussi techniques, entremêlés d’intérêts colossaux au regard des sommes
engagées, l’IRSN apporte une information brute, une « connaissance des risques sans biais »6 .
Sa fusion programmée avec l’ASN et avec d’autres institutions risque fatalement de renforcer
l’opacité, vers une opacité institutionnellement intégrée.


Les écologistes s’opposent à une relance nucléaire
Parce que la sûreté nucléaire doit impérativement être renforcée pour le parc existant,
les écologistes s’opposent a fortiori à une relance nucléaire associée à une réduction des
exigences de sûreté, dont l’indépendance de l’IRSN était le garant.
L’actualité rouvre de
vives sources d’inquiétudes, parfois relayées par des lanceurs d’alerte en haut de la hiérarchie
de la filière nucléaire.
Au-delà de la sûreté et de la sécurité, d’autres arguments pragmatiques confirment l‘opposition
des écologistes. Si l’on compare l’énergie électronucléaire aux énergies renouvelables, ces
dernières s’avèrent plus sûres, plus compétitives et plus créatrices d’emplois locaux non
délocalisables. Une analyse comparée avec les autres pays montre que l’évolution de la part du
nucléaire dans le mix énergétique mondial suit une pente descendante presque verticale,
passant de 20 % à moins de 10 % en moins de 20 ans7 et ce, au profit des énergies
renouvelables.
Et pour cause : le nucléaire est un gouffre financier. La dette d’EDF, annoncée le 17 février
2023, s’élève à 64,5 milliards d’euros, avec des pertes records estimées à près de 20 milliards.
Fiasco illustre, les coûts du projet de l’EPR de Flamanville ont été multipliés par 6. De là
s’explique la recherche de financements, au travers de laquelle se dessine un ‘’quoi qu’il en
coûte’’ dissimulé mais visiblement étranger aux questions de sûreté nucléaire. Le
gouvernement, prêt à toutes les transgressions, envisage d’utiliser le livret A, l’épargne des
Français.es, pour financer la relance nucléaire. Cela équivaut à un dévoiement d’une épargne
solidaire censée financer en grande partie des logements sociaux et la rénovation énergétique,
et non pas « les déchets des générations futures »8 comme l’a rappelé Marine Tondelier.
Une conclusion d’étape de ces débâcles industrielles devrait nous conduire à l’extrême
prudence. Pourtant, c’est exactement l’inverse qui a été décidé, au plus grand mépris
démocratique. Même dans un monde idéal où ces dysfonctionnements n’auraient pas lieu,
où l’énergie nucléaire serait sûre, les délais incompressibles de mise en œuvre des
nouveaux réacteurs ne permettent pas de respecter nos engagements climatiques.

1 Projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes (ENEP2223723L)
2 Communiqué de la commission d’éthique et de déontologie de l’IRSN du 15 février :
https://www.irsn.fr/FR/Actualites_presse/Actualites/Pages/20230215_CP_CED.aspx2
3 Projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes (ENEP2223723L)
4 Communiqué de la commission d’éthique et de déontologie de l’IRSN du 15 février :
comhttps://www.irsn.fr/FR/Actualites_presse/Actualites/Pages/20230215_CP_CED.aspx
5 Compte rendu des QAG du 15 février :
https://www.senat.fr/seances/s202302/s20230215/s20230215001.html#cribkmk_questionactualite__6
73420 ; vidéo :
https://twitter.com/senat_direct/status/1625866470365310977?s=46&t=i6MxCpSbNPZxx8g_hLHTzQ

6 Communiqué de la commission d’éthique et de déontologie de l’IRSN du 15 février :
comhttps://www.irsn.fr/FR/Actualites_presse/Actualites/Pages/20230215_CP_CED.aspx
7 World Nuclear Industry Status Report 2022
8 Dans l’émission Bonjour Chez Vous, Public Sénat, 16 février