FICHES PRATIQUES MUNICIPALES

lundi mars 16, 2020

Faire valoir son droit d’expression

Être dans l’opposition s’apparente encore trop souvent à un sport de combat lorsqu’il s’agit de faire valoir pleinement ses droits. Un exemple : celui, fondamental, du droit d’expression. Tous les supports d’information générale publiés par la collectivité sont concernés, en particulier les sites internet.


– Dans les communes et EPCI de 3500 habitants et plus, le droit d’expression des élu-es d’opposition est garanti depuis la loi du 27 février 2002, relative à la démocratie de proximité.

– Quelle que soit la nature du support, les bulletins d’information générale de la collectivité doivent réserver une tribune libre aux membres de l’opposition afin de leur assurer leur liberté fondamentale d’expression.

– C’est le règlement intérieur du Conseil municipal qui doit en détailler les modalités d’application.

La tribune est un droit individuel

Le règlement intérieur du Conseil doit donc définir les modalités pratiques de l’espace accordé dans son bulletin d’information générale. Comme l’indique le Code général des collectivités locales, celui-ci est réservé, non pas à des groupes d’élu-es, mais bien à
celles et ceux qui ne sont pas membres de la majorité . Dans l’esprit du législateur ce droit est un droit individuel. Dans la pratique cependant, il est bien souvent constaté que les règlements intérieurs parlent d’espaces accordés « aux groupes »… Cela laisse alors la possibilité d’intégrer un espace supplémentaire, en plus des groupes politiques, qui est
alors considéré celui du groupe majoritaire.

Le droit d’expression des conseillers d’opposition est fondé sur l’article L2121-27-1 du code général des collectivités territoriales :
« Dans les communes de 3 500 habitants et plus, lorsque la commune diffuse, sous quelque forme que ce soit, un bulletin d’information générale sur les réalisations et la gestion du conseil municipal, un espace est réservé à l’expression des conseillers n’appartenant pas à la majorité municipale. Les modalités d’application de cette disposition sont définies par le règlement intérieur. »

Les vicissitudes de la vie politique

Il arrive parfois qu’un-e élu-e quitte une majorité de manière pérenne. Dans ce cas, la personne concernée, même isolée, doit se voir attribuer son propre espace d’expression.

Quelles publications sont concernées ?

Outre le bulletin municipal/intercommunal périodique, peuvent être considérés comme « bulletin d’information générale » des suppléments au magazine municipal/intercommunal[[Tribunal administratif de VERSAILLES 1er avril 2010 (M. M. et autres c/ Le Plessis-Robinson)]], une lettre du maire[[TA de Versailles, 15 mai 2004, Ville de Longjumeau]], mais également le site internet de la collectivité[[CAA Versailles, 17 avril 2009, Ville de Versailles, req. n° 06VE00222, AJDA 2009, p. 1712, concl. Jarrau]]. Il est donc tout à fait possible de réclamer un espace sur ces différentes
publications.

Outre les lois du 27/02/2002 (démocratie de proximité, droit à l’expression des élus, bulletins d’information,

  • loi du 29 juillet 1881 (liberté de la presse)
  • Code général des collectivités territoriales: article L2121-27-1; article L3121-24-1; article L4132-23-1
  • Code électoral: article L. 52-8; article L. 52-1

Quelle taille réserver aux espaces d’expression ?

La taille maximale autorisée pour le rédactionnel peut varier en toute légalité, selon le format et l’importance de chaque publication de la collectivité. Le Conseil d’État accorde au Conseil municipal la possibilité de déterminer lui-même ce point (décision n° 256544 du 28 janvier 2004). Il n’est pas cependant obligatoire que les espaces d’expression alloués soient proportionnels au pourcentage de voix obtenu par les groupes d’opposition lors des élections ou au nombre de leurs élu-es dans l’assemblée municipale (Cour administrative d’appel de Marseille, décision du 2 juin 2006 n° 04MA02045).

Quelques exemples de rédaction pouvant intégrer un règlement intérieur

« Lorsque la commune diffuse, sous quelque forme que ce soit (papier ou support numérique) un bulletin d’information générale sur les réalisations et la gestion du conseil municipal, un espace de X page(s) est réservé à l’expression des groupes composant ledit conseil municipal. Dans ce cadre, chaque groupe bénéficiera d’un espace
d’expression proportionnel à sa représentation au sein du conseil municipal.
»
Ou encore : « Chaque groupe politique dispose d’un espace de libre expression dans le journal municipal ainsi que d’une page permanente sur le site internet de la ville de XXX. »

Ce que l’on a le droit d’écrire

La tribune doit porter sur des sujets relevant de la collectivité territoriale concernée. Elle ne doit pas comporter d’injures ou de propos diffamatoires. Le maire, directeur de la publication, peut être poursuivi pénalement pour de tels propos (loi sur la liberté de la presse). Il a donc le droit, dans ce cas, de refuser la publication d’ une tribune.

Et en période électorale ?

Sous réserve que la tribune libre ne soit pas utilisée comme moyen de propagande électorale, et sauf accord général de tous les membres du conseil, rien ne justifie sa suppression en période électorale. Il convient cependant d’être très prudent. Si la tribune est trop électoraliste (« votez pour moi, votez pour elle/lui », il est possible que l’ensemble du support soit réintégré dans les comptes de campagne du candidat. Le magazine ou le site internet d’une collectivité territoriale sont alors considérés comme don d’une personne morale (L. 52-8 du Code électoral).

Le cas de Montreuil-sous-Bois en 2008

Le Conseil d’Etat a jugé, pour la première fois en 2009, qu’une tribune libre publiée dans la revue municipale, pouvait constituer un don interdit (CE, 3 juillet 2009, Elections municipales de Montreuil-sous-Bois, n° 322430). Un groupe d’élu-es d’opposition avait rédigé une tribune invitant les habitants à se joindre à l’appel lancé par une candidate en vue des élections municipales de mars 2008.

N’oublions pas le temps de parole en conseil

De nombreux règlements limitent le temps de parole des élu-es lors des débats. Cette disposition – qui n’est prévue par aucune loi ou décret – peut se voir censurer par le Tribunal administratif[[TA de Grenoble, 15 septembre 1999, req. n° 950317]]. De même, il a été jugé illégal de limiter le nombre de prises de paroles accordé au même élu sur une même délibération[[CAA Versailles 30 décembre 2004, n° 02VE02420]].

Conclusion

Le droit d’expression des élus d’opposition se construit à coups de jurisprudences, souvent favorables. Cependant, mieux vaut la négociation en début de mandat avec le maire ou le président de l’assemblée plutôt qu’une longue et coûteuse procédure pour faire reconnaître ses droits…

Aller plus loin :

La revue le courrier des Maires et des élus locaux à publié dans son numéro 254 (février 2012) un article sur le thème « Élu minoritaire : un rôle à part entière » (auteur : Laurence Denès)