Crédit photo : Thomas Laisné
Trois questions à Corinne Rufet, élue EELV du Conseil Régional d’Ile-de-France, vice-présidente chargée de l’environnement, de l’agriculture et de l’énergie, membre du conseil d’administration de la FEVE
Comment les régions peuvent-elles agir pour le développement de l’agriculture biologique ?
Corinne Rufet : La compétence agricole des régions s’est vue profondément renouvelée avec l’obtention de la gestion du FEADER européen. Depuis, leur rôle en ce domaine est devenu réellement décisif. Avoir des groupes écologistes dans ces assemblées – comme c’est le cas en région Ile-de-France où nous avons 52 élu-es – permet d’impulser une transition agro-écologique qui privilégie tout spécialement l’agriculture biologique.
En Ile-de-France, le renouveau de cette ambition agricole s’est traduit par l’adoption fin 2014 d’une « Stratégie pour une agriculture durable et de proximité » dont les principaux axes sont la préservation des terres agricoles, la transition agro-écologique (avec un focus sur le bio), le développement et la diversification des filières. Cette politique-cadre constitue un début ambitieux en cela qu’elle définit le cap et pose les jalons pour une agriculture durable. C’est une victoire en soi car il aura fallu changer la mentalité de nos alliés de la majorité, qui n’avaient pas d’ambition écologique pour l’agriculture francilienne.
En 2013, Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt a lancé le plan Ambition Bio 2017 qui a comme premier objectif de doubler le pourcentage des surfaces agricoles utiles (SAU) bio – pour passer de 3,8% fin 2012 à près de 8% – d’ici fin 2017 et de le tripler d’ici 2020. Il est possible pour les régions de se saisir de cet outil et de traduire le Plan Bio au niveau régional. Pour cela, il nous faut dynamiser les conversions tout en maintenant un objectif parallèle de 10 à 15 installations par an.
Les régions peuvent aussi développer une politique de contractualisation avec les partenaires clés. En Ile-de-France, des contrats ont été passés avec l’établissement régional de l’élevage, le GAB Ile-de-France (Groupement des Agriculteurs Bio), la SAFER, mais aussi le réseau des AMAP ou l’association Terre de Liens. Il est possible aussi de voter des conventions avec les chambres d’agricultures afin de les pousser eux aussi à agir en faveur de la transition agro-écologique.
Enfin, les régions peuvent développer des aides pour soutenir financièrement l’agriculture biologique, en bonifiant les aides agricoles pour les agriculteurs bio et en mettant en place des aides spécifiques. La région Ile-de-France a ainsi créé, en autres, l’ARMAB (Aide Régionale pour le Maintien d’une Agriculture Biologique) et l’ATABLE (Aide pour une Transition vers une Agriculture Biologique LocalE). Elle rembourse aussi 80% des frais de labellisation.
Et pour continuer à sensibiliser sur les dangers sanitaires de l’agriculture conventionnelle, les écologistes peuvent pousser à ce que des études soient lancées par les Observatoires régional-aux de santé afin d’en savoir plus sur les conséquences de l’usage des produits phytosanitaires sur la santé des agriculteurs !
Au sein de cet engagement général en faveur de l’agriculture bio, quels leviers d’action avez-vous privilégiés ?
Corinne Rufet : Afin de réaliser notre ambition vis-à-vis de l’agriculture biologique, le groupe écologiste à la région Ile-de-France a choisi d’insister principalement sur deux aspects : l’installation et la structuration des filières.
Dans les régions, comme c’est le cas de l’Ile-de-France, où l’agriculture bio reste marginale face à une écrasante domination d’exploitations céréalières vastes et aux méthodes traditionnelles, il est essentiel de se concentrer sur l’installation. Pour permettre à l’agriculture biologique de se développer, il faut accompagner les agriculteurs pour qu’ils fassent ce choix dès le départ. Suite à la réforme territoriale, les régions ont leur mot à dire sur l’aide à l’installation. Elles peuvent donc bonifier la dotation jeunes agriculteurs pour celles et ceux qui s’installent en bio. En Ile-de-France, elle est majorée de 60%.
L’Ile-de-France a la chance de posséder un autre outil : l’Agence des Espaces Verts. Cet établissement public a pour vocation de protéger le foncier francilien en achetant des terres agricoles et des espaces verts dans des zones de fortes tensions foncières. Actuellement, près de 20% des terres agricoles gérées par cet organisme associé sont exploitées en bio. L’objectif est de continuer à augmenter ce pourcentage grâce à des programmes de sensibilisation et d’accompagnement.
Le groupe écologiste a aussi obtenu la signature d’une convention afin que l’AEV puisse soutenir la fondation Terre de Liens pour acheter des terres agricoles et installer des agriculteurs biologiques en circuit court.
Nous le savons toutes et tous, pour que des agriculteurs s’installent, il leur faut des débouchés économiques. Les conseils régionaux peuvent effectuer un travail spécifique pour accompagner la structuration de la filière bio. Soutien à la création de coopératives d’achat permettant le stockage et la revente en gros, création d’outils de première transformation sur le territoire, adaptation des cahiers des charges des marchés publics pour renforcer l’attractivité du bio… Cette structuration de l’aval est une incitation économique forte pouvant amener d’autres agriculteurs à se convertir.
Mais le contexte régional n’est pas facile et la Région n’est pas seule aux commandes. Quels sont les freins au développement du bio ?
Corinne Rufet : Même avec la pression des groupes écologistes, les régions ne peuvent pas changer le monde toutes seules. La transition agro-écologique souffre d’une Politique agricole commune (PAC) européenne qui ne va toujours pas dans son sens. Et au niveau national, il y a un manque de volonté politique qui ne créé pas les conditions favorables à une vraie transition écologique. On le voit : le ministère avait proposé de réduire de 25% les aides au maintien… Suite à une pression forte, à laquelle la FEVE et les élu-es écologistes ont participé en écrivant au ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, celles-ci ont pu être rétabli, mais cela montre qu’il y a encore beaucoup de travail à faire. Le Plan national Ambition Bio est une belle déclaration et, dans chaque région, les élu-es écologistes s’efforcent d’en remplir les objectifs. Toutefois, sans un changement de logique de la PAC, nous encouragerons toujours l’agriculture intensive dirigée vers l’exportation. En agriculture, les leviers les plus importants sont aux niveaux national et européen, or les lobbys de l’agriculture conventionnelle ont réussi à conserver leurs avantages durant la dernière négociation.
En Ile-de-France, 90% des surfaces agricoles sont détenue par des céréaliers. Sans incitation financière forte, nous aurons du mal à changer d’échelle et à convertir ces exportateurs à l’agriculture biologique.
Je reste néanmoins confiante car l’agriculture biologique profite de nombreux avantages. Sa plus grande résistance face aux aléas climatiques, l’augmentation de la demande en produit locaux ou encore les risques sanitaires poussent de plus en plus d’agriculteurs à évoluer. Cette évolution serait cependant beaucoup plus rapide avec un véritable volontarisme politique français et européen.