parue dans Le Monde le 20 janvier 2023
Notre collectif rassemblant des chercheurs, des élus et des agriculteurs déplore la fin des aides au maintien de l’agriculture biologique. Pour notre avenir, c’est bien le mode de production le plus performant sur le plan environnemental qui doit être encouragé.
Fin août, le gouvernement a fait le choix, par le biais de son plan stratégique national, qui décline la politique agricole commune européenne, de mettre un terme aux aides au maintien à l’agriculture biologique. Cette aide a été remplacée par un « écorégime » hétéroclite dans lequel le montant alloué à la bio est beaucoup plus faible qu’auparavant et à peine plus élevé que celui apporté à l’agriculture autodéclarée « haute valeur environnementale », dont le cahier des charges n’apporte pas de garanties. Des aides publiques proches malgré des attentes radicalement différentes : le signal est mauvais.
Le travail des agriculteurs en bio est plus complexe qu’en conventionnel, car pour ne pas utiliser de produits chimiques il s’agit de travailler avec la nature. L’aide au maintien permettait de reconnaître l’exigence technique de l’agriculture biologique et ses services environnementaux, démontrés par de nombreux travaux scientifiques : elle contribue à préserver la biodiversité, à protéger la qualité de l’eau, des sols et de l’air, et réagit mieux face au changement climatique. La bio est un modèle d’agroécologie, que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) préconise de massifier rapidement.
Cette agriculture n’emploie ni nitrates de synthèse (dont la production est gourmande en gaz, et dont l’épandage dégage du protoxyde d’azote, gaz à effet de serre puissant et rémanent) ni pesticides chimiques (dont la production est également énergivore). Les récentes expertises collectives de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) sur les impacts des pesticides sur la santé, et de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) sur leurs impacts sur la biodiversité renforcent l’intérêt vital pour la société d’une agriculture se passant de pesticides chimiques.
Modes de production sobres en énergie
De nombreux captages d’eau pollués par les nitrates et pesticides nécessitent de coûteux traitements payés par les consommateurs ou ne distribuent une eau ne respectant les normes que moyennant dérogation. Chaque année, d’autres sont fermés du fait de pollutions diffuses agricoles.
Dès 2010, la Cour des comptes notait que « les résultats décevants constatés sur les nitrates et les produits phytosanitaires trouvent en grande partie leur origine dans une insuffisante volonté de l’Etat de remettre en cause des pratiques agricoles durablement marquées par l’encouragement au productivisme et le choix d’une agriculture intensive ». Alors que des sécheresses comme celle de 2022 vont se reproduire, il est urgent de protéger les ressources destinées à l’eau potable. Le vivant s’effondre, et la COP15 biodiversité a également ciblé les pesticides comme cause. Il est crucial d’opter à long terme pour des modes de production sobres en énergie – et préférable d’augmenter les surfaces en bio plutôt que les procès entre riverains et agriculteurs épandeurs de pesticides.
Enfin, des prospectives nationales et européennes montrent que généraliser l’agriculture biologique est possible et souhaitable du point de vue de la souveraineté alimentaire, contrairement à ce que certains prétendent.
Principe pollueur-payeur
Pourtant, les filières bio connaissent, pour la première fois depuis quinze ans, une baisse des ventes qui s’explique par les fins de mois difficiles des consommateurs, mais aussi par la concurrence déloyale de plusieurs labels prétendument environnementaux et souvent moins chers comme HVE, Zéro résidu de pesticides, Agriculture raisonnée… Des producteurs et coopératives bio se trouvent en difficulté, après de lourds investissements réalisés pour accompagner la croissance. Cette situation, actuellement gérée sans soutien public, entraîne un ralentissement de la dynamique de développement qui risque de se renforcer, alors que la France s’est fixé une trajectoire d’augmentation de sa surface en bio (25 % de la surface en 2030, pour 10 % aujourd’hui) et d’augmentation des produits bio dans la restauration collective (20 % en 2022, pour 6 % probables actuellement). Bizarrement, les projets alimentaires territoriaux (PAT) issus de la loi d’avenir pour l’agriculture, supposés « relocaliser l’agriculture et l’alimentation dans les territoires en soutenant l’installation d’agriculteurs, les circuits courts ou les produits locaux dans les cantines », négligent la protection de leur ressource en eau et oublient souvent d’associer les producteurs bio locaux.
La Cour des comptes a clairement expliqué, dans son rapport de juin 2022, pourquoi soutenir l’agriculture biologique, et comment : en éclairant les citoyens sur l’impact environnemental et sanitaire de l’agriculture biologique – donc cesser de colporter des informations fausses, par exemple que cette forme d’agriculture ne serait pas contrôlée ou qu’elle n’aurait pas d’impact positif sur la santé – et en réorientant les soutiens publics agricoles au profit de la filière bio. Il s’agit donc de rétablir l’aide au maintien, d’inclure systématiquement l’agriculture biologique dans les projets alimentaires territoriaux et d’augmenter massivement la part de bio dans la restauration collective, afin d’atteindre les objectifs fixés par les politiques publiques. Et, quand près de 500 millions d’euros publics ont promptement été consentis en 2022 sans contrepartie aux élevages les plus consommateurs d’aliments importés pour les aider à surmonter la crise, l’argument de la contrainte budgétaire ne convainc pas…
L’application du principe pollueur-payeur permettrait de réorienter les subsides publics vers le soutien des pratiques vertueuses de l’agriculture biologique. Il est paradoxal que le mode de production le plus performant sur le plan environnemental ne soit pas en croissance forte dans le contexte actuel des multiples urgences écologiques ; cette situation témoigne de politiques publiques inadaptées qui en arrivent à pénaliser et à entraver les systèmes les plus souhaitables.
Le problème est grave, les enjeux sont vitaux pour les territoires, les citoyens, les générations futures et l’ensemble du vivant ; il est urgent de réagir !
Premiers signataires : Wolfgang Cramer, Sara Fernandez, Josette Garnier, Harold Levrel, Xavier Poux, Marc-André Sélosse, directeur de recherche CNRS, Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale ; géographe à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement ; directrice de recherche CNRS ; professeur d’économie AgroParisTech ; agronome, chercheur associé à l’Institut du développement durable et des relations internationales ; professeur du Muséum national d’histoire naturelle
Rémi Barbier
Stéphane Bellon
Marc Benoît
Gilles Billen
Gérard Bolet
Alberte Bondeau
Daniel Chateigner
Matthieu Combaud
Wolfgang Cramer
Frédéric Danjon
Agnès Ducharne
Marc Dufumier
Fabien Esculier
Sara Fernandez
Boris Fumanal
Josette Garnier
Pierre Gasselin
Isabelle Goldringer
Benoît Labbouz
Denis Lairon
Beryl Laitung
Harold Levrel
Jean-Marc Meynard
Patrick Moquay
Yvan Nedelec
Ghislain Nicaise
François Papy
Coline Perrin
Robin Petit-Roulet
Jean Pluvinage
Xavier Poux
Julie Regolo
Michel Sauvain
Marc-André Sélosse
Bruno Tassin
Geneviève Teil
Vincent Thénard
Damien Toublant
Laurence Abeille
Françoise Alamartine
Patrick Anne
Tiphaine Ardouin
Marie-Catherine Arrighi
Claude Aubert
Thierry Badouard
Veronique Barrière
Vital Baude
Lisa Belluco
Delphine Benassy
Dorothée Benhamou
Pierre Beranger-Fenouillet
Quentin Bernier-Gravat
Rémi Beslé
Christophe Bitauld
Benoît Biteau
Francois Blachon
Gérard Blanc
Christophe Boiron
Delphine Bonamy
Vincent Bosq
Gérald Boutillier
Daniel Breuiller
Odile Brindeau
Yannick Brohard
Thomas Bury
Sophie Bussière
Philippe Camburet
Jérémy Camus
Catherine Candelier
Jacques Caplat
Chrysis Caporal
Armelle Caron
Alexandra Caron-Cusey
François Cavallino
Elise Cecchy
Leonide Celini
Claude Chambon
Patricia Charton
Philippe Chesneau
Françoise Chiappetta
Sylvain Chopin
Dominique Clinckemaillie
Maryse Combres
Alain Cordier
Muriel Courtay
Alexandre Cousin
Françoise Coutant
Antoine Couturier
Pauline Couvent
Guillaume Cros
Jérome Cucarollo
Patricia Daguerre-Jacque
Olivier d’Araujo
Renaud Daumas
Monique de Marco
Pierrick De Ronne
Dominique Delcroix
Benoît Deliere
Karima Delli
Luci Derzko
Claire Desmares
Jean-François Diot
Marc Dodray
Laurent Dreyfus
Jean-Luc Dumesnil
Christophe Dumont
Guillaume Dumoulin
Gérard Erpret
Jean-Noël Falcou
Jean-Laurent Féliza
Jacques Fernique
Régine Ferron
Maëla Feuillette
Pierre Feuillette
Sarah Feuillette
Jacqueline Fihey
Karin Fischer
Marilyne Forgeneuf
Olivier Frézel
Nicolas Gamache
Evelyne Gareaux
Patrick Garnon
Cécile Germain-Ecuer
Jérémie Godet
Guillaume Gontard
Michel Gruber
Claude Gruffat
Élisabeth Gruson
Sophie Guillemain
Line Guillemot
Véronique Guislain
Baptiste Guyomarch
Julien Halska
Patrick Hatzig
Florian Hug-Fouché
Jacques Huleux
Thomas Hutin
Perreux Jacques
Jonathan Janssens
Ledoux Jérôme
Roland Jouffroy
Florian Kobryn
Serge Krier
Géraldine Krin
Marie-Jésus Labado
Joël Labbé
Fabienne Lafon
Annie Lahmer
Gaëlle Lahoreau
Anne Le Strat
Catherine Le Goff
Enora Le Gall
Grégory Lebert
Donald Lecomte
Colette Lecuyer
Alice Leiciagueçahar
Fanny Lelong
Virginie Léonard
Annie Leroy
Raoul Leturcq
Stéphanie Lionne
Alain Lipietz
Didier Lorioux
François Loscheider
René Louail
Bernard Loup
Bernard Loup
Marie Madeleine Braud
Anna Maillard
Claire Mallard
Aurélie Maras
Patrick Marcotte
Catherine Marie
Alain Marissal
Alexis Martin
Isabelle Martin
Lionel Martin
Raymond Martin
Marie Massart
Dominique Matintika
Michelle Maxo
Gil Mettai
Maxime Meyer
Loïc Minery
Didier Missenard
Stéphanie Modde
Marc Moraine
Lydia Morlot
Laurence Motoman
Philippe Mussi
Christine Nedelec
Dany Neveu
Aminata Niakaté
Lou Noirclere
Marie-Odile Novelli
Eric Oternaud
Murriel Padovani-Lorioux
Elisabeth Pagnac
Marc Pascal
Bénédicte Pasiecznik
Danielle Pautrel
Ludivine Perard
Bernard Péré
Odile Perrin
Basile Perrot
Cyrille Perrot
Sarah Persil
Emmanuel Petel
Marie-Claude Pigouche-Clément
Henri Plandé
Marie Pochon
Philippe Pointereau
Raymonde Poncet-Monge
Estelle Portrat
Anny Poursinoff
Ludivine Quintallet
Philippe Rabaud
Hugues Raimbourg
Anne Rajchman
Mathieu Rambaud
Maëlle Ranoux
Sandra Regol
Morgan Reille
Nicolas Richard
Jean-Francis Rimbert
Serge Rivet
Eliane Romani
Jeremy Roques
Romain Ruth
Daniel Salmon
Marianne Sanlaville
Philippe Saunier
Natacha Sautereau
Magali Sautreuil
Jeremy Savatier
Gérard Schann
Patricia Schmidt Busserolle
Jean-François Secondé
Christine Seguinau
Marie-Cécile Seigle-Vatte
Karfa Siera Diallo
Helene Simeon
Jean-Marc Soubeste
Laurie Steux
Anne Teneul
Chantal Teneul
Christophe Teneul
Elise Teneul
Robert Terrier
Nicolas Thierry
Marine Tondelier
Domitille Toussaint
Isabelle Touzard
Stéphane Trifiletti
Léo Tyburce
Laurent Urban
Philippe Vachette
Olivier Vacilotto
Florence Vallin-Balas
Christophe Vanhersecker
François Veillerette
Véronique Vidor
Martine Villenave
Katy Vuylsteker
Laurent Watrin
Raphaël Wietzke
Manon Zakeossian
Abelardo Zamorano Barrera