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mercredi juin 28, 2023

Tribune : Les élu·es locaux mobilisés pour dénoncer les dérives illibérales du Contrat d’Engagement Républicain

Tribune Collectif, parue dans le Monde, le 27.06, lien.

Plus de 600 élus locaux de gauche demandent, dans une tribune au « Monde », la révision de la loi « séparatisme », un an après sa mise en application. Et dénoncent une dégradation des libertés publiques. 

Dans quelques jours, nous allons fêter l’anniversaire de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association. Cette loi emblématique dans l’évolution de la société française, arrachée de haute lutte après trente ans de propositions, est une loi non pas d’interdiction mais de liberté et d’émancipation, constitutionnalisée en 1971 et consacrée par la Cour européenne des droits de l’homme. Grâce à elle, 1,5 million d’associations contribuent, quotidiennement, à une société française plus émancipée et plurielle, équitable et solidaire, dans tous des champs de notre République où le monde associatif joue un rôle déterminant.

Cette loi historique est en danger, depuis le 24 août 2021, date de promulgation de la loi confortant le respect des principes de la République. Bien avant son adoption, le potentiel liberticide de cette loi, communément appelée loi « séparatisme », a fait couler beaucoup d’encre. Des associations de plan national et international, ainsi que de nombreux juristes spécialisés, des élus avaient remarqué qu’elle générait des risques d’empiéter sur les libertés d’association, de culte, d’enseignement, voire sur la liberté d’opinion et d’expression.

Un an après sa mise en application, le bilan que nous, élus des collectivités territoriales, pouvons désormais établir confirme sans ambiguïté le bien-fondé des critiques émises.

Une loi inefficace

Ces inquiétudes valent également au niveau national. Les propos du ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, à l’égard de la Ligue des droits de l’homme, en avril, et la surenchère à ce sujet de la première ministre, Elisabeth Borne, montrent clairement que toute association qui porte une parole critique de la ligne d’un gouvernement en pleine dérive autoritaire peut se retrouver prise dans l’engrenage. Aujourd’hui, ce sont les associations écologistes, des structures d’éducation populaire, d’accueil et accompagnement des réfugiés et des migrants… Demain, ce seront les associations scientifiques, d’éducation, de santé ou de protection des consommateurs, dès lors qu’elles porteront une action ou une parole jugée contestataire ou simplement déplaisante par le pouvoir.

Avec le contrat d’engagement républicain, les préfets ont dorénavant le pouvoir de demander aux maires et aux présidents des collectivités territoriales de retirer les subventions aux associations, déjà votées par délibération des élus. Seuls à apprécier la conformité ou non des actions au contrat, ces mêmes préfets concentrent, comme pour l’attribution des Fonds pour le développement de la vie associative (FDVA), la responsabilité des retraits. Des dérives sont déjà observées, certaines associations localement ont perdu sans explication leurs aides et leurs pouvoirs d’agir.

Quid d’une liberté d’association qui s’appliquerait essentiellement aux associations policées, voire celles qui se censurent elles-mêmes par peur d’une sanction financière ou d’une mise au ban ? Nous sommes face à une loi inefficace aux regards de ses propres objectifs, pénalisant, au titre d’une prévention inutile, l’écosystème associatif qui, pris dans son ensemble, est l’un des véritables garants des valeurs républicaines. Le contrat d’engagement républicain apparaît comme une déclaration de défiance contre le monde associatif français, issue d’une méconnaissance de son fonctionnement, d’un mépris de son rôle sociétal et de sa mission démocratique.

Amendements immédiats

En tant qu’élues et élus des collectivités territoriales, nous sommes convaincus que, face aux enjeux actuels, l’écosystème associatif est un partenaire à la fois structurant, incontournable et indispensable, pour travailler à nos côtés, un écosystème sans lequel l’équilibre de notre société et de notre démocratie, demain, serait compromis. Nous sommes également convaincus que le partenariat entre collectivités territoriales et monde associatif ne doit pas se réduire à une délégation de service public ou à des relais politiques et qu’il s’inscrit dans la liberté de gestion des collectivités territoriales. Que ce concours entraîne une prise de parole critique n’est pas seulement inévitable – elle est aussi indispensable pour les délibérations démocratiques dans notre République, à toute échelle.

Nous appelons désormais à la création d’un large rassemblement horizontal entre élus des collectivités territoriales et du monde associatif, une coalition qui se fixe l’objectif d’évaluation des dispositions de la loi du 24 août 2021, plus spécifiquement de l’article 12, sur l’obligation de signer un « contrat d’engagement républicain » afin de pouvoir solliciter une subvention publique – et l’article 16, sur l’extension des motifs de dissolution d’association ou groupement de fait. L’objectif est de proposer des amendements immédiats à la loi, destinés à circonscrire et définir son application afin de garantir à la fois la liberté d’association et la liberté d’expression des associations.

Le temps que ce travail collectif puisse se dérouler sereinement, nous appelons à la suspension immédiate des articles 12 et 16. Nous restons parfaitement sereins dans notre conviction que cette suspension n’entraîne aucun risque « séparatiste » ou de dérive communautariste, l’Etat ayant déjà à sa disposition toutes les volontés – y compris la nôtre – et tous les instruments juridiques nécessaires à la lutte contre les extrémismes, les expressions haineuses et les incitations à la violence. Les instruments juridiques pour s’assurer de la conformité avec les règles de la République dans l’utilisation des subventions publiques par les associations et, le cas échéant, octroyant déjà le droit de retirer ces subventions et d’en demander le remboursement, existent en effet déjà.

Premiers signataires : Katia Bourdin, conseillère régionale (Europe Ecologie-Les Verts) Nouvelle-Aquitaine ; Ulf Clerwall, conseiller municipal (EELV) Paris 10e ; Gaëlle Lahoreau, vice-présidente (EELV) Centre-Val de Loire ; Sarah Persil, vice-présidente (EELV) Bourgogne-Franche-Comté. La liste complète des signataires est diponible ici.