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vendredi juillet 25, 2025

« Ursula von der Leyen commet une trahison en abandonnant l’un des piliers de l’Union européenne que constitue la PAC »

Tribune dans Le Monde du 24 juillet 2025 – Par David Cormand, député écologiste européen

Les annonces de la présidente de la Commission européenne au sujet du budget de l’UE et en particulier de la politique agricole commune consacrent une régression du projet commun et un recul démocratique, estime, dans une tribune au « Monde », le député européen écologiste français David Cormand.

Mercredi 16 juillet, il n’y a pas qu’en France qu’un projet de budget était mis en débat. A Bruxelles, la Commission européenne présentait sa proposition de réforme du cadre financier pluriannuel 2028-2034 – autrement dit, son projet de budget européen –, ainsi que celle de la politique agricole commune (PAC) pour la même période. Il est logique que les deux soient liées, car le budget de la PAC représentait jusqu’à maintenant à lui seul entre 30 % et 40 % du budget total de l’UE.

Hélas, dans un cadre général de déconstruction méthodique de la solidarité européenne, l’agriculture est l’une des grandes sacrifiées, au profit d’une technocratie centralisée et d’une nationalisation rampante du budget européen. Derrière les termes flatteurs de « simplification » et de « flexibilité », c’est une régression sans précédent du projet européen qui est à l’œuvre.

Dans le détail, la PAC telle que nous la connaissons est vidée de sa substance. Ses deux piliers, le soutien au revenu des agriculteurs et le développement rural, sont fusionnés. Elle devient une simple ligne au sein d’un mégafonds budgétaire baptisé « fonds de partenariat national et régional », aux côtés des fonds de cohésion, du fonds social européen, des politiques migratoires ou encore du fonds social pour le climat. Ce mégafonds serait ensuite éclaté en vingt-sept enveloppes nationales discutées bilatéralement entre chaque Etat membre et la Commission. Ainsi fusionnée, diluée et nationalisée, la PAC n’est plus une politique identifiable. Elle perd ses priorités, ses lignes spécifiques, ses objectifs transnationaux. Enfin, le budget alloué au dispositif est réduit de plus de 20 % par rapport à la période actuelle.

La liquidation d’une ambition

Il est loin le temps où la droite européenne versait des larmes de crocodile sur les difficultés du monde agricole, lorsque les agriculteurs manifestaient partout en Europe pour dénoncer la baisse de leurs revenus. Les masques tombent. Ce que propose la Commission, ce n’est pas une réforme de la PAC, mais la liquidation d’une ambition pour une agriculture européenne plus juste, plus écologique et plus souveraine.

Cette fusion XXL de politiques spécifiques et la nationalisation des enveloppes enterrent tout projet de budget européen intégré et lisible. Cette proposition de nouvelle architecture pour le cadre financier pluriannuel et pour la future PAC constitue un recul démocratique et une tentative de centralisation autoritaire et technocratique.

Cette réforme n’est pas qu’une affaire agricole. Elle est un symptôme politique, révélateur d’une conception dangereuse de la gouvernance européenne. La Commission affirme vouloir donner plus de marge aux Etats membres. Mais, en réalité, elle centralise les choix politiques tout en nationalisant la gestion opérationnelle. Les décisions stratégiques seront prises en amont, hors contrôle démocratique, et leur mise en œuvre deviendra une bataille nationale entre ministères pour un budget réduit.

A terme, il est à craindre que dans ses négociations avec les Etats, la Commission puisse exiger des réformes structurelles en échange du versement des fonds. Cette dérive rappelle les mécanismes d’« ajustement structurel » que l’on croyait relégués aux années de plomb de la « troïka ». L’idée d’un budget transformé en levier disciplinaire – plutôt qu’en instrument de justice sociale, de transition écologique et de cohésion territoriale – n’est plus une fiction.

De son côté, le Parlement européen, pourtant colégislateur, sera désormais évincé du pilotage politique du budget européen. Avec la fusion de lignes budgétaires spécifiques, rattachées à des politiques publiques identifiées, c’est l’effacement du Parlement européen qui est programmé, puisqu’il ne pourra plus, dans les faits, ni orienter les priorités ni contrôler efficacement l’usage des fonds.

Grand bond en arrière

Ce qui se joue aujourd’hui dépasse la PAC : nous assistons à la régression du projet européen en tant que projet commun, lisible, débattu et sous contrôle démocratique.

Ursula von der Leyen, présidente de la Commission la plus mal élue de l’histoire européenne, semble vouloir gouverner sans la représentation démocratique que constitue le Parlement européen, c’est-à-dire contre lui. Un comble pour celle qui est présentée comme étant à la tête d’une coalition « pro-européenne ».

Ajoutons à cette proposition de cadre financier pluriannuel 2028-2034 et de nouvelle PAC la tentative de passage en force sur le Mercosur, l’usage abusif qu’elle fait des « omnibus » (qui consiste à remettre en question des paquets législatifs déjà adoptés) et le retrait en pleines négociations de la directive contre le greenwashing. Ces actes forment un continuum antidémocratique.

Pendant l’épidémie de Covid-19, nous avions parlé de « moment hamiltonien » pour désigner l’emprunt commun qui avait permis de répondre à la crise que nous traversions. Cette promesse fédéraliste pour une Europe plus forte et plus solidaire fait place aujourd’hui à un grand bond en arrière.

En contournant la démocratie, en abandonnant l’un des piliers de la politique européenne que constitue la PAC, en nationalisant un budget rendu par ailleurs illisible, Ursula von der Leyen commet une trahison européenne.

Au moment où, depuis la seconde guerre mondiale, l’extrême droite n’a jamais été aussi menaçante sur notre continent, alors que les tensions géopolitiques et les coups de boutoir de Donald Trump pèsent sur notre économie et que l’urgence écologique et sociale est plus que jamais présente, cette trahison est une faute à la fois politique et morale. Pour être à la hauteur des enjeux des temps qui viennent, l’UE doit se ressaisir en renouant avec ses fondamentaux d’aspirations démocratiques, de justice et d’émancipation sociale.

L’agriculture et les agriculteurs sont l’un des socles du contrat territorial et politique qui a fondé l’UE. Les trahir, c’est aussi trahir l’idéal européen.