
Les relations entre santé et activités politiques sont peu documentées par les sciences sociales du travail et du politique. Pourtant, les recherches sur les élu·es suggèrent l’importance d’étudier cette question. La tension entre l’intensité du travail politique et les normes de dévouement inhérentes à la fonction est l’objet de recherche de 13 sociologues et de politistes, issus de 5 laboratoires de recherche. Cette enquête, baptisée ELUSAN, s’intéresse aux élu·es maires, président·es et vice-président·es de départements ou de régions, mais également aux député·es et sénateur·trices. Elle postule que l’exercice du mandat politique confronte les élus à des formes d’usure et de mise à l’épreuve pouvant altérer leur santé, tout en imposant des injonctions à la résistance et à l’endurance. Elle est à la fois quantitative, à travers l’administration d’un questionnaire combinant questions fermées et ouvertes, et qualitative, grâce à la réalisation d’une centaine d’entretiens semi-directifs.
Cette enquête a permis de recueillir des données précises sur l’impact du mandat sur leur rythme de vie, leur équilibre familial et leur santé. L’analyse des réponses met en lumière des tendances significatives illustrant les défis quotidiens rencontrés par les élu·es locaux et nationaux. Vous trouverez ci-dessous un résumé des premiers résultats de l’enquête, que vous pouvez lire en détail ici !
Le mandat : une source de satisfaction
Avant d’évoquer les aspects négatifs liés aux conditions d’exercice d’un mandat électoral, il semble important d’évoquer les sources de satisfactions qui ressortent de l’enquête ELUSAN. Elles renforcent l’engagement des élu·es, les aident à en supporter les charges et pénibilités. Ainsi, le sentiment d’être utile aux autres est partagé par toutes et tous. L’enquête fait ressortir des formes de « rétributions symboliques », en étant au contact de la population (« la vraie vie »), en faisant aboutir des projets complexes ou sur le long terme, ou participant à la résolution de problèmes à une petite échelle (une famille, une association…). Les répondant·es partagent un sentiment de fierté procuré par le travail réalisé dans le cadre du mandat.

Les sources de satisfaction peuvent être plus personnelles : sentiment d’apprendre, de progresser, de faire des choses nouvelles. Les appréciations sont plus variées en ce qui concerne leur indemnisation. Elle est majoritairement jugée insuffisante par les exécutifs locaux, alors qu’une majorité des parlementaires l’estime suffisante. Les chercheurs écrivent : « il y a là une source d’inégalités entre mandats dans la balance entre pénibilités et satisfactions« .
Mandat et rythme de vie : des agendas qui débordent
L’enquête révèle que la majorité des élu·es considèrent leur engagement comme une mission particulièrement exigeante, avec des journées rythmées par de nombreuses sollicitations.
➕de 60 ans de travail lié au mandat par semaine, pour une grande majorité des répondant·es
🕕 des plages horaires distendues : la quasi totalité des répondant·es déclare travailler tôt le matin (avant 8h) ou tard le soir (après 20h)
🔴 une grande majorité des élu·es déclarent devoir souvent ou parfois « travailler de manière excessive », deux-tiers expliquent devoir souvent « penser à trop de choses à la fois », deux-cinquième être souvent « sous pression », les trois-quarts devoir souvent ou parfois « cacher ses émotions ».
Entre les réunions, les permanences et les urgences locales, le temps libre se réduit considérablement. Ce rythme soutenu génère une fatigue physique et mentale accrue, d’autant plus que la plupart des élus exercent cette fonction en parallèle d’une activité professionnelle. Cette surcharge impacte leur disponibilité et leur bien-être global. Les élu·es qui échappent à ces contraintes sont très minoritaires. L’enquête souligne également les inégalités de moyens entre élu·es : accès ou non à des collaborateurs et un secrétariat, capacité des services administratifs, le poids des configurations territoriale, l’éloignement entre le lieu du mandat et le lieu de vie, l’offre de transports…
Mandat et vie familiale : un équilibre difficile à trouver
Les configurations familiales des répondant·es sont différentes : 80% vivent en couple, la moitié n’ont pas ou plus d’enfants vivant au foyer, un quart en élèvent au moins deux… Néanmoins, une grande partie des élu·es interrogé·es estiment que le mandat a un impact plutôt négatif sur leur vie privée. Nombreux·euses sont celles et ceux qui déclarent avoir du mal à concilier leurs responsabilités publiques et leur vie familiale. Les horaires décalés, les absences fréquentes et le stress lié aux responsabilités locales peuvent créer des tensions au sein du foyer : être moins à la maison et être moins présent·e une fois à la maison. Certain·es répondant·es évoquent même un isolement progressif, dû à un manque de temps pour partager des moments avec leurs proches. Plus d’un tiers des élu·es disent que leur entourage se plaint de le manque de disponibilité.

Mandat et santé physique & mentale : des risques sérieux souvent négligés
L’enquête met en évidence un constat préoccupant : la santé des élu·es est souvent reléguée au second plan. Le stress, le manque de sommeil et une alimentation déséquilibrée sont fréquemment mentionnés. De nombreux·euses élu·es font état d’une dégradation de leur état de santé depuis le début de leur mandat, sans toutefois prendre le temps de consulter ou de mettre en place des mesures préventives. Face à ce constat, un besoin de sensibilisation et d’accompagnement se fait sentir afin de préserver leur bien-être tout au long de leur engagement.

La santé est jugée « non-prioritaire » par un grand nombre de répondant·es. Lorsque les élu·es sont malades, iels déclarent mettre en place des stratégies alternatives, comme le télétravail, pour palier une forme de culpabilité à « ne pas travailler ». À noter que certain·es vivent dans un désert médical et rencontrent des difficultés pour accéder à des professionnels. Face à la charge de travail, certain·es déclarent recourir à des pratiques destinées à les « aider à tenir » : boire du café, utiliser des boissons énergisantes, recourir à l’homéopathie ou à des médicaments sur prescription. Si certain·es déclarent recourir, parfois ou souvent, à la consommation de boissons alcoolisées, iels sont aussi nombreux à faire attention à leur alimentation, à pratiquer une activité physique ou de la relaxation.
Malgré ces difficultés rencontrées lors de l’exercice du mandat, majorité des élu·es n’a jamais pensé à démissionner, et quand les doutes surviennent ils sont temporaires.

L’enquête ELUSAN met en exergue la nécessité de mieux soutenir les élu·es locaux dans l’exercice de leurs mandats. Entre la gestion de leur rythme de vie, l’impact sur leur famille et leur propre santé, leur engagement mérite d’être accompagné par des dispositifs plus adaptés. Une meilleure reconnaissance institutionnelle, des formations spécifiques et des moyens adaptés constituent des leviers essentiels pour améliorer leur qualité de vie et l’efficacité de leur mandat.