Dans cette table ronde, Claire Masson, maire d’Auray (ville moyenne de 14 000 habitant·es dans le Morbihan), et François Astorg, maire d’Annecy (grande ville attractive de 135 000 habitant·es), exposent leurs stratégies pour répondre à la crise du logement. Leurs témoignages révèlent que, malgré la différence de taille, les problèmes d’explosion des prix, de spéculation et de meublés touristiques sont similaires et exigent des actions fortes.
Les deux villes, situées dans des régions très attractives (littoral breton et proximité suisse/montagne), subissent une crise du logement sévère. Cette crise a des conséquences directes sur l’économie locale : les villes n’arrivent plus à loger les travailleurs essentiels (hôpitaux, aide à domicile, commerces), ce qui menace le recrutement et la cohésion sociale du territoire.
Claire Masson expose comment l’attractivité du Morbihan (la « banane bleue ») pour les résidences secondaires et les locations touristiques fait exploser les prix, entraînant un vieillissement accéléré de la population et la fermeture des écoles. François Astorg met en évidence l’effet de la spéculation immobilière (prix atteignant 10,000 €/m²) et la concurrence frontalière suisse, où les salaires sont beaucoup plus élevés.
La régulation massive des meublés de tourisme
Les deux villes ont fait le choix d’agir fortement pour réguler l’offre d’hébergement touristique de courte durée. Annecy, par exemple, a mis en place des quotas par zone pour réduire drastiquement le nombre de meublés, s’appuyant sur une loi plus récente :
Le règlement a été mis en place dès le 1ᵉʳ juin. Je vous raconte pas. Dès le 15 juin, dès le 15 mai, ils étaient dans la presse. Ils ont appelé la terre entière... Un lobbying très fort parce qu'il y a des gens qui vont perdre beaucoup d'argent. On a identifié un multipropriétaire, 37 appartements.— François Astorg, maire d'Annecy
L’utilisation stratégique du logement social et du BRS
Pour ne pas subir la spéculation, l’Intercommunalité d’Auray a créé une structure (Acta Foncier) pour acheter directement les terrains, garantissant ainsi la maîtrise de leur destination (100 % de logements sociaux sur certaines parcelles à Auray). La ville d’Annecy, elle, cherche à récupérer des logements sociaux déconventionnés.
Le BRS (Bail Réel Solidaire) est l’outil phare pour restaurer l’accessibilité à la propriété. Face à l’explosion des prix, l’Intercommunalité d’Auray a créé son propre Office Foncier Solidaire (OFS) pour maîtriser le foncier et imposer la mixité. Sur les terrains acquis, Auray impose désormais 100 % de logement social, dont 50 % en BRS. Ce mécanisme permet aux ménages sous conditions de ressources d’acquérir le bâti à 30 % sous le prix du marché, le sol restant la propriété de la collectivité. Cette stratégie s’accompagne de critères d’attribution priorisant les travailleurs en tension (soignants, commerçants, etc.), garantissant que l’effort financier bénéficie directement aux forces vives du territoire et non à la spéculation, un point vital pour la cohésion sociale locale.
Les actions ne s’arrêtent pas là. Les maires ont dû s’attaquer de front à la régulation des meublés de tourisme de type Airbnb, devenus un moteur de la spéculation et une cause majeure de la pénurie. À l’image d’Annecy qui limite les autorisations à « un appartement par propriétaire », Auray utilise la fiscalité et la réglementation pour freiner le phénomène. Ces mesures radicales et souvent contestées par les lobbies démontrent que, face à la crise du logement, les collectivités doivent reprendre la main sur la destination de leur foncier pour loger leurs habitant·es et maintenir une économie locale viable. La maîtrise du foncier par les communes
Aujourd'hui, la question de l'urgence sociale n'est plus une question idéologique, c'est une question de vie au quotidien et de développement du territoire. Maintenant, c'est fini les bas. Même des gens ultra libéraux disent on a besoin de logement social.— François Astorg, maire d'Annecy
Rénovation urbaine et lutte contre le péril
Les deux communes se concentrent sur la revitalisation des centres-villes anciens, souvent victimes de vacances de logements situés au-dessus des commerces et de problèmes de vétusté. Des outils comme l’OPAH (Opération Programmée d’Amélioration de l’Habitat) ou les lois Malraux sont utilisés pour mobiliser des aides à la rénovation (ANAH), permettant de remettre du logement social dans les cœurs de ville.
On a beaucoup de logements, on a un cœur de ville et Saint-Goustan qui sont très vieux et on a des périls de plus en plus nombreux sur la ville.— Claire Masson , maire d'Auray