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mercredi décembre 4, 2024

Retour sur le colloque « Rôle et place des élu·es sans délégation dans un contexte de crise démocratique »

Catherine Candelier, présidente de la FEVE, a participé en tant qu’intervenante à ce colloque organisé par Ghislaine Senée, sénatrice des Yvelines, le vendredi 11 octobre 2024 de 9h à 13h au Palais du Luxembourg (Salle Monory).

Colloque sur le rôle et la place des élu•es municipaux sans délégation dans un contexte de crise démocratique (Sénat)

Programme et intervenants

Table Ronde 1 : Démocratie municipale et fonctionnement des assemblées locales

Intervenant·es :

  • Pierre Camus, docteur en sociologie. Enseignant à l’Université de Nantes. Co-auteur d’un ouvrage à paraître intitulé: La formation des agents publics locaux et des élus locaux en Europe (perspective comparative entre 33 pays européens). Président de l’Observatoire national de la formation des élus locaux
  • Solène Le Monnier, conseillère municipale à Berric, membre de l’Union nationale des élus locaux. Rédactrice d’un rapport sur la démission des élus locaux, en particulier ceux sans délégation

Tables ronde 2 – L’amélioration des conditions d’exercice des mandats : entre nouveaux leviers d’action pour l’ensemble des élus et nouvelle gouvernance

Intervenant·es :

  • Catherine Candelier, présidente de la FEVE, conseillère municipale de l’opposition à Sèvres (Hauts-de-Seine) depuis de très nombreuses années et ancienne conseillère régionale d’Île-de-France
  • Yvon Rosconval, conseiller municipal à Triel-sur-Seine (Yvelines) et fondateur du collectif 78 des élus locaux minoritaires

Problématiques abordées

Le colloque avait pour ambition de dresser un constat objectif et de proposer des leviers pour améliorer les conditions d’exercice du mandat des élus municipaux sans délégation, qu’ils soient issus de la majorité ou de l’opposition. Face aux crises de la représentation et à l’érosion des vocations, cette rencontre visait à dégager des pistes concrètes pour revitaliser l’engagement de ces élus municipaux, véritables ambassadeurs de la République.

Quelques idées-forces

Les citations suivantes ont été tirées de la transcription du colloque disponible ici.

Ghislaine Senée : « Il est (…) important, aujourd’hui, de se concentrer sur l’amélioration du fonctionnement des conseils municipaux et plus précisément de leur gouvernance. Il s’agit de trouver des moyens pour permettre à un·e élu·e qui souhaite s’investir pour sa commune, qu’elle soit de la majorité ou non, de s’engager pleinement ; sans se retrouver dans des conflits internes liés simplement au fait de pas appartenir à la même liste ou d’avoir des désaccords sur certains sujets. Il arrive également de faire partie de la majorité et, pourtant, de se sentir comme dans une « chambre d’enregistrement » ; une situation qui s’est aggravée avec l’essor des intercommunalités. Cela peut donner l’impression de ne pas vraiment comprendre son utilité. Peu à peu, la motivation qui avait poussé à s’engager peut s’éroder. »

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« La question de la formation et du temps disponible se pose de la même manière pour la majorité et pour l’opposition. À ce colloque sont venues davantage des personnes de l’opposition et des personnes qui se sont retrouvées en difficulté au sein de la majorité. Elles ont choisi soit de la quitter soit de rester.

Concernant le statut de l’élu·e, les réflexions menées actuellement visent à améliorer les conditions de formation et à permettre des autorisations d’absence ou des congés plus flexibles, de manière égale pour tous. Il ne s’agit pas seulement de soutenir les élu·es de la majorité mais également ceux qui ne sont pas dans l’exécutif voire, même, les conseillers sans étiquette spécifique qui contribuent aussi à la construction des projets. Ce sont des éléments qui progressent et je pense qu’ils aboutiront car, quel que soit l’élu·e, il est évident que l’échelon local est crucial.

L’enjeu est de donner aux communes et aux collectivités locales les moyens nécessaires pour agir. Cela ne signifie pas seulement un petit budget pour des actions ponctuelles (comme dans le domaine de la jeunesse) mais des moyens pour agir durablement sans dépendre des autres collectivités, que ce soient le département ou la région. Nous sommes de plus en plus confronté·es à des appels à projets systématiques, ce qui réduit notre visibilité pour construire une action politique cohérente à long terme. »


Pierre Camus : « Lorsqu’on parle de « crise démocratique », on fait généralement référence à un processus de dégradation tendancielle d’exercice des mandats. Aujourd’hui, on a des tendances lourdes qui se manifestent de différentes manières. On pourrait les synthétiser en trois points principaux :

  1. La complexification de l’exercice des mandats.
  2. Le renouvellement du rapport des élus à leur mandat.
  3. Le renouvellement du rapport des citoyens aux élus.

Ces trois dimensions permettent de comprendre comment la situation actuelle des mandats électoraux évolue.

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(…) il faut que nous nous penchions sur un paradigme : la mise en débat de la situation des conseillers municipaux s’articule autour de l’idée ancrée que nous faisons face à une crise des vocations. Selon moi, elle existe mais elle n’existe que pour parler du renouvellement dans la manière dont les élus s’engagent dans le mandat. Cela correspond bien à une crise du modèle vocationnel mais ne suppose pas qu’il y ait une crise de l’engagement. Il ne s’agit pas d’une simple crise de renouvellement des élus mais d’une remise en cause plus profonde du modèle traditionnel d’engagement. »


Solène Le Monnier: « Dans mon rapport, je me suis attachée à identifier les causes de ces démissions. Ce qui revient le plus souvent, (…), c’est le sentiment d’inutilité. (…) Pourquoi se retrouve-t-on à ne pas pouvoir agir ? En approfondissant cette question, deux choses sont apparues. D’une part, il y a cette nouvelle génération d’élus qui veut agir mais se retrouve bloquée. D’autre part, nous sommes freinés par un système qui a évolué pour simplifier et accélérer les processus administratifs. De plus en plus de lois et d’articles ont été ajoutés au Code général des collectivités territoriales et les pouvoirs de l’exécutif ont été renforcés pour rendre les décisions plus rapides.

En ajoutant à cela l’arrivée des intercommunalités, qui ont pris en charge de nombreuses compétences autrefois détenues par les communes, les conseils municipaux ont de moins en moins de raisons de délibérer. Aujourd’hui, l’exécutif n’a quasiment plus besoin de solliciter l’avis du conseil municipal pour valider une décision. (…) La question à se poser est donc : comment rééquilibrer un peu les pouvoirs sans déposséder le maire ? (…) L’enjeu est donc de trouver un équilibre entre la simplification administrative et législative d’une part et d’autre part, l’humain, car lorsque nous nous engageons, nous avons besoin d’une raison d’agir et de sentir que nos actions ont un impact. »


Colloque sur le rôle et la place des élu•es municipaux sans délégation dans un contexte de crise démocratique (Sénat)

Catherine Candelier : « (…) Ce que je voudrais ajouter en complément au titre du colloque: « Rôle et place des conseillers municipaux », c’est la notion “d’utilité”. Si on commence par définir l’utilité d’un conseiller municipal, on pourra ensuite lui attribuer facilement un rôle et une place dans le fonctionnement démocratique. Je sais que certains collègues autour de la table peuvent être découragés ou fatigués. C’est bien normal… Nous sommes à un moment où il est important de se remotiver. Qu’est-ce qu’un conseiller municipal finalement ? C’est d’abord une personne qui s’engage au service de l’intérêt général et de ses concitoyens. Cela peut paraître évident mais il est bon de le rappeler. Cet engagement est souvent bénévole car nous sommes peu nombreux à être indemnisés. Notre engagement est donc désintéressé et nous ne comptons pas nos heures.

Quand on se présente à une élection, c’est sur un projet, des idées et des ambitions pour sa commune. Il est important de ne pas oublier la vision du territoire que nous avons développée avant d’être élus. Ce projet, il faut le conserver. Il nous portera pendant les six années de mandat.

J’ai entendu Solène parler d’engagement personnel tout à l’heure. Je pense que notre engagement est lié à ce projet que nous avons à défendre. De plus, le terme « conseiller municipal » doit être remis dans son sens premier : nous sommes là pour conseiller le maire. Nous sommes élus au même titre que lui et représentons nous aussi les citoyens. Nous sommes des experts de notre territoire. (…) Notre rôle est multiple : nous sommes les relais des préoccupations de nos concitoyens et nous devons être force de proposition au conseil municipal pour faire entendre ces préoccupations. Nous avons aussi un rôle d’information envers nos concitoyens sur ce qui se passe au sein du conseil municipal. Enfin, nous avons un rôle de contrôle, comme cela a été mentionné plus tôt. Sans les conseillers municipaux, il n’y aurait aucune transparence dans la gestion des affaires publiques locales.

En somme, nous sommes des acteurs essentiels de la démocratie, de la transparence et de la bonne gouvernance au niveau local. »

 » (…) Nous avons également des droits : accès à l’information pour comprendre ce que nous votons, possibilité de s’exprimer, de poser des questions, de déposer un vœu, avoir un espace d’expression dans les publications de la ville, un local et d’accéder à des formations. En dehors du CGCT, on peut aussi saisir le préfet pour un contrôle de légalité. En dernier recours, il est possible d’aller au tribunal administratif contester une délibération. Notre droit d’agir en tant qu’élu est immédiat et reconnu sans nécessité de démontrer un intérêt particulier.

Voilà pour la théorie! Mais dans la pratique, les choses sont beaucoup moins simples… Tous ces droits sont encadrés et parfois de façon restrictive par le règlement intérieur du conseil qui est voté au début du mandat. Si vous êtes nouveau et sans expérience, vous risquez de vous faire un peu piéger par certaines dispositions. Par ailleurs, l’application de ces droits se fait souvent à coups de jurisprudences, en particulier pour les droits d’expression des élus d’opposition, construits au fil des recours d’autres élus. En pratique, le rôle et la place du conseil municipal et de ses membres dépendent largement du maire et de sa majorité et, donc, du respect qu’ils accordent ou non à leurs collègues d’opposition, ce qui en fait une expérience plus ou moins agréable.

Si nos droits étaient approfondis et bien définis, nous perdrions sans doute moins de temps et d’énergie à les faire respecter. »

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Quelques pistes d’amélioration :

Tout d’abord, je pense qu’il est essentiel pour les élus de se regrouper dans un collectif. (…) il fut un temps où les syndicats et partis politiques jouaient un rôle formateur en matière de citoyenneté, de débat, et d’engagement. Aujourd’hui, avec la perte d’influence de ces structures, il devient crucial de trouver d’autres collectifs, y compris des collectifs citoyens, pour remplir ce rôle.

Deuxième piste : il est nécessaire de promouvoir des majorités municipales soucieuses du débat démocratique au sein des conseils municipaux. Si un maire respecte l’opposition, il y a de fortes chances qu’il respecte aussi la population. (…) La qualité du débat démocratique est aussi primordiale. (…)

Troisième piste : améliorer la représentativité des conseils municipaux. Peut-on encore continuer avec le système de prime majoritaire tel qu’il existe ? (…) Il est temps de rouvrir le débat sur la démocratie intercommunale.

Quatrième piste : renforcer les droits des élus en matière d’information. Trop souvent, les conseils délèguent des compétences au maire sans vraiment savoir ce que cela implique. (…) Beaucoup de droits sont prévus dans le code des collectivités mais sans sanction pour leur non-application. (…)

Cinquième piste : encourager le droit à la formation. Même si cela s’est amélioré ces dernières années. (…) La gestion municipale est de plus en plus complexe, et la formation est un moyen précieux de se remotiver et d’échanger avec d’autres élus. (…) Protection fonctionnelle pour tous les élus, indemnités pour tous les élus sous condition de présence effective. Ça améliorerait beaucoup l’attractivité de ce statut.

Enfin, une dernière piste plus baroque : Pourquoi ne pas accorder aux conseillers municipaux un statut similaire à celui des sapeurs-pompiers volontaires ? Les entreprises et administrations sont souvent fières de compter des pompiers volontaires dans leurs effectifs. De la même manière, elles pourraient être encouragées à libérer des employés pour leur permettre de participer activement à la démocratie locale. Cela donnerait aux entreprises et administrations un rôle citoyen tout en valorisant l’engagement des élus. »

Colloque sur le rôle et la place des élu•es municipaux sans délégation dans un contexte de crise démocratique (Sénat)

Yvon Rosconval : « Nous sommes à un tournant important avec des perspectives de décentralisation. Récemment, il y a eu le rapport Woerth, proposant 51 mesures pour la décentralisation mais aucune de ces mesures ne concernait le fonctionnement démocratique des collectivités locales. C’est inquiétant. Du côté des partis politiques et des mouvements, on parle beaucoup de démocratie participative. Mais en réalité, on s’aperçoit qu’elle ne fonctionne pas car la démocratie représentative elle-même ne fonctionne pas vraiment et il n’y a pas de transformations en vue. (…)

Les solutions qui sont proposées aujourd’hui s’attaquent surtout aux symptômes. Par exemple, on propose d’augmenter l’indemnisation des élus en pensant que cela résoudra les problèmes. (…) Pourtant, les problèmes sont bien plus profonds que cela.

(…) Le premier point, comme cela a été évoqué plus tôt, c’est de garantir le respect de la loi. Actuellement, des lois existent, notamment sur le droit à l’information via les outils numériques mais elles ne sont pas respectées. (…) Cela ne signifie pas qu’il faille continuer à produire des lois à tour de bras mais il faut avant tout faire respecter celles qui existent déjà. (…) Un autre axe d’amélioration concerne l’accès à l’information. (…) Agir sur la communication est également un point crucial. (…) Il y a aussi la question des moyens alloués aux élus pour exercer leur mandat. Il est indispensable que les élus aient les moyens nécessaires pour fonctionner. Un autre sujet à aborder est celui du pouvoir d’intervention des élus. Actuellement, ils n’ont presque aucun pouvoir sur l’ordre du jour des conseils municipaux. Il faudrait des mesures pour permettre aux élus, qu’ils soient de la majorité ou de l’opposition, d’avoir une véritable capacité d’action en ce sens. Il est également important de cesser de fantasmer le rôle de la préfecture. (…) Enfin, il y a la question de la gouvernance. Il est essentiel de revoir le fonctionnement au sein des communes car trop de pouvoir est concentré entre les mains du maire. Il s’agit de parlementariser les communes et réfléchir à des réformes du mode de scrutin et des rapports de force au sein des conseils municipaux. (…) Il est peut-être temps de se pencher sur la proportionnelle ou sur d’autres modèles de gouvernance plus démocratiques. Pour conclure, et c’était aussi le sens de ce collectif, je pense qu’il est urgent d’établir un diagnostic partagé de l’état de la démocratie locale en France.


Retour de la presse

Vous pouvez lire l’article du Courrier des maires du 15 octobre « Les élus sans délégations, grands oubliés d’une refonte du statut ? »

Vidéo du colloque

Il est possible de voir la rediffusion du colloque – pour des raisons de droit à l’image la partie questions/réponses a été coupée :