Historiquement cantonné à l’hypothèse, relativement circonscrite, des accidents dont ils pouvaient être victimes, le mécanisme de la protection fonctionnelle des élus locaux n’a eu de cesse de s’étendre – et c’est heureux –, sur le modèle de la protection reconnue aux agents publics1.
1- Un nouvel élargissement du champ de la protection fonctionnelle
Illustration la plus récente et révélatrice de ce mouvement, l’article 12 de la loi du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus a élargi le champ d’application de la protection fonctionnelle aux candidats à un mandat électif.
Ce texte a plus précisément introduit, dans le code électoral, un nouvel article L.52-18-1 permettant aux candidats de bénéficier de la protection fonctionnelle pendant les six mois précédant le premier jour du mois de l’élection et jusqu’à la tenue du tour de scrutin auquel ils ont effectivement pris part.
Une protection assurée par l’État
Précisons d’emblée que cette protection n’est pas assurée par la collectivité concernée par l’élection, mais par l’État. L’article L.52-18-1 du code électoral l’indique expressément et opère un renvoi aux dispositions du code général de la fonction publique2, également rendues applicables, par cette même loi du 21 mars 2024, aux élus municipaux lorsqu’ils agissent en tant qu’agents de l’État3.
A cet égard, bien que ledit article soit silencieux sur ce point, on peut raisonnablement considérer, dès lors que la prise en charge de la protection incombe à l’État, que la demande doit être adressée par l’intéressé au préfet de département. Cette logique est d’ailleurs confirmée par l’article L.123-35 du code général des collectivités territoriales (CGCT) relatif à la protection fonctionnelle des élus municipaux agissant comme agents de l’État, qui prévoit explicitement que la demande doit être présentée au représentant de l’État dans le département.
Un dispositif dont les candidats se saisiront eux-mêmes
La protection fonctionnelle a vocation à devenir un dispositif mobilisé par les candidats eux-mêmes, dans le cadre des campagnes électorales que l’on sait parfois particulièrement âpres. Désormais, par exemple, l’agression, la menace, l’injure ou la diffamation subies à l’occasion d’une campagne pourront ouvrir droit à la protection de l’État. Ce dernier pourra ainsi être amené à financer les procédures judiciaires – fréquentes – qui émaillent les périodes électorales.
En pratique, cette extension du champ de la protection fonctionnelle pourrait donc conduire les candidats à se montrer davantage enclins à se placer sur le terrain judiciaire pour faire valoir leurs droits. La protection fonctionnelle pourra jouer au bénéfice d’un candidat mis en cause dans le cadre d’une procédure juridictionnelle, dès lors que les faits qui en sont à l’origine présentent un lien avec le déroulement de la campagne électorale.
Quels bénéficiaires ?
En apparence simple, la mise en pratique de ce nouveau dispositif pose un certain nombre de questions, voire de difficultés.
La première est de savoir quelle personne peut être regardée, au sens des dispositions de la loi, comme candidate à un mandat électif pour bénéficier de la protection fonctionnelle. Sur ce point, l’article L. 52-18-1 du code électoral, qui figure dans le titre I du livre I relatif aux « dispositions communes à l’élection des députés, des conseillers départementaux, des conseillers métropolitains de Lyon, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires », indique que le dispositif s’applique à « chaque candidat ».
Notons que le texte ne fixe pas de restriction particulière, que ce soit en termes de taille de collectivité ou encore de seuil d’obtention de suffrages.
En effet, la protection s’applique, nous dit la loi, « aux candidats ayant déclaré leur candidature au représentant de l’État dans le département et ayant effectivement pris part au moins au premier tour de l’élection »4. On en déduit que l’absence de dépôt de candidature et / ou de participation au premier tour exclut tout bénéfice de la protection fonctionnelle.
2- Quid de l’élu candidat à sa réélection ?
Reste le cas particulier de l’élu candidat à sa réélection. En effet, l’intéressé bénéficie déjà, en vertu du CGCT et sous certaines conditions, de la protection fonctionnelle dans le cadre de l’exercice de son mandat. Partant, faudra-il mobiliser le CGCT ou le code électoral ?
La réponse dépendra, selon toute vraisemblance, des faits à l’origine de la demande de protection : s’ils se rattachent à l’exercice du mandat en cours de l’intéressé, la protection du CGCT trouvera à s’appliquer ; s’ils concernent sa campagne en vue de sa réélection, c’est le code électoral qui pourra être mobilisé. Il conviendra alors, par exemple, de déterminer en quelle qualité l’élu-candidat a subi des violences, injures ou diffamations. Il pourra toutefois s’avérer délicat, dans certains cas, d’apprécier précisément si les attaques visant l’élu sont en lien avec l’exercice de son mandat actuel ou avec sa nouvelle candidature.
L’enjeu n’est pas des moindres puisque la réponse à cette question déterminera qui, de l’État ou de la collectivité concernée par l’élection, prendra en charge les frais de protection afférents.
Choisir le régime le plus favorable
De surcroît, elle conditionnera le régime procédural applicable. Rappelons en effet que la loi du 21 mars 2024 a rendu automatique – c’est-à-dire sans décision préalable de l’organe délibérant – l’octroi de la protection fonctionnelle aux maires et aux adjoints ou anciens maires ou adjoints victimes de violences, de menaces ou d’outrages dans le cadre de leur mandat5. À l’inverse, la protection fonctionnelle des candidats est calquée sur le régime applicable aux agents publics, dont l’octroi est, lui, conditionné à une décision expresse de l’autorité compétente – en l’occurrence, le préfet pour les candidats.
On peut dès lors anticiper que les élus candidats à leur réélection seront tentés de se prévaloir du régime plus favorable prévu par le CGCT, en arguant que les faits à l’origine de leur demande ont été subis dans le cadre de leur mandat (octroi automatique de la protection) et non à l’occasion de leur campagne (octroi subordonné à une décision du représentant de l’État).
3- Quel contrôle des demandes de protection ?
Saisi d’une demande de la part du candidat souhaitant bénéficier de la protection fonctionnelle, il est entendu que le représentant de l’État sera amené à la contrôler et pourra, le cas échéant, la refuser.
En particulier, par analogie avec le régime général de la protection fonctionnelle, il est permis de considérer que l’État pourrait refuser d’accorder la protection fonctionnelle de l’article L.52-18-1 du code électoral s’il estime que le candidat a commis une faute personnelle détachable de sa campagne.
En effet, on sait que, de jurisprudence constante, l’octroi de la protection fonctionnelle est exclu en cas de faute dite « détachable », laquelle correspond à « des faits qui révèlent des préoccupations d’ordre privé, qui procèdent d’un comportement incompatible avec les obligations qui s’imposent dans l’exercice de fonctions publiques ou qui, eu égard à leur nature et aux conditions dans lesquelles ils ont été commis, revêtent une particulière gravité »6.
Au préfet de trancher, malgré le risque de contentieux
L’application de cette notion de « détachabilité » des faits – déjà délicate à manier pour les élus et les agents publics – à la campagne électorale des candidats apparaît relativement périlleuse. Il appartiendra en effet au préfet de déterminer si les faits conduisant le candidat à solliciter le bénéfice de la protection fonctionnelle se rattachent à sa campagne ou en sont détachables. Dans cette dernière hypothèse, le risque contentieux sera incontournable dès lors que le candidat auquel le bénéfice de la protection aura été refusé introduira très certainement un recours en annulation contre la décision préfectorale.
Louable dans son principe, l’extension de la protection fonctionnelle aux candidats n’a pas fini de susciter interrogations et incertitudes. Un décret en Conseil d’État doit bien préciser certaines modalités d’application, sans viser a priori en tant que telle la protection fonctionnelle des candidats. Mais le texte énumérerait plus spécifiquement les critères permettant de définir différents niveaux de menace dans le cadre d’un référentiel national (art. L.52-18-4 du code électoral) et détaillerait les dépenses de sécurité, visées à l’article L.52-18-2, en fonction du niveau de menace, fixerait un plafond des dépenses, établirait les modalités de transmission de l’identité du candidat à la Commission nationale des comptes de campagne (CNCCFP), etc.
La campagne des élections municipales de mars 2026 offrira, à n’en pas douter, une première occasion de mise en œuvre de ce nouveau régime de protection dont le juge administratif sera très probablement amené à préciser les contours.