FICHES PRATIQUES

mercredi août 5, 2015

Pourquoi utiliser les logiciels libres dans les collectivités ?

800px-carte_conceptuelle_du_logiciel_libre.svg.png

Bruno Méchin, ancien conseiller municipal de Châteaugiron (Ille-et-Vilaine) est adhérent de l’APRIL, l’Association pour la Promotion et la Recherche en Informatique Libre. Il explique pourquoi il est intéressant pour les collectivités d’utiliser les logiciels libres et nous donne quelques exemples de politiques déjà mises en place par des élu-es écologistes.

L’Etat a préconisé l’utilisation des logiciels libres et ouverts en collectivité au travers une circulaire de 2012 et a dressé la liste d’un ensemble de logiciels libres à utiliser au sein des administrations.
Mais que sont au juste les logiciels libres (LL)? Pourquoi les utiliser en collectivité? Voici quelques éléments d’explications pour tenter de vous éclairer sur ce qu’est le logiciel libre et vous aider à le faire adopter dans vos collectivités.

Les priorités à défendre, les opportunités à saisir

Tout d’abord, il est utile de rappeler que « libre » ne signifie pas « gratuit ». En effet, le logiciel libre reste soumis à des droits d’auteur qui se définissent autour de licences. Pour être reconnu LL, le logiciel doit respecter quatre libertés fondamentales qui sont :

  • La liberté d’utiliser le logiciel sans restriction ;
  • 
La liberté de copier le logiciel ;
  • 
La liberté d’étudier le logiciel ;

  • La liberté de modifier le logiciel et de redistribuer les versions modifiées.

Le logiciel libre ne s’arrête pas à ces prérequis. En effet, on ne peut parler de logiciel libre sans mettre en avant les notions d’interopérabilité et de formats ouverts [Il existe plusieurs licences de logiciels libres. Les plus connues sont la GPL ([GNU Publique Licence) et la licence BSD.]]
Les standards ouverts et l’interopérabilité sont des enjeux technologiques majeurs. Ils offrent à ceux qui les mettent en œuvre l’indépendance vis-à-vis des fournisseurs de solutions logicielles. De plus, ils sont une garantie d’accessibilité et de pérennité des données.
Un logiciel est dit « interopérable » lorsqu’il a la capacité de fonctionner avec n’importe quel logiciel existant ou futur.
Pour garantir l’interopérabilité, il faut donc utiliser des formats ouverts, c’est-à-dire des formats que tout logiciel puisse interpréter et que toute personne puisse lire. En utilisant des formats de fichiers ouverts, vous maitrisez vos données.
Utiliser des logiciels libres, c’est aussi refuser le monopole imposé par le monde informatique par l’utilisation d’outils spécifiques.
Vous utilisez sûrement déjà des logiciels libres sans le savoir, comme le programme de messagerie Thunderbird, l’éditeur d’images GIMP, la suite LibreOffice etc. Ou bien au travers de services de téléphonie de voix sur IP (VOIP), de serveurs (comme APACHE, Linux, etc)…

Pourquoi choisir le logiciel libre ?

Les raisons du passage aux logiciels libres peuvent être diverses :


  • L’aspect financier : en passant au logiciel libre, la collectivité n’a plus de licence à payer et a la possibilité de mutualiser des développements avec plusieurs collectivités et ainsi utiliser une partie de l’argent économisé pour investir dans le conseil, la formation, pour une meilleure appropriation de l’outil informatique.

  • Développer une économie locale en faisant appel à des acteurs sur son territoire. En effet, à la différence des logiciels propriétaires qui nécessitent d’avoir des certifications voire même obligent à passer par la société qui les a développés pour les enrichir, les corriger ou les faire évoluer, les LL peuvent permettre à des sociétés locales d’intervenir sans autorisation spécifique. La collectivité peut donc faire appel à des com- pétences de proximité.
  • Permettre à tout le monde d’avoir accès aux fichiers car leurs formats sont ouverts et interopérables.

Une collectivité qui utilise des standards ouverts aujourd’hui est sûre que les citoyens pourront accéder demain aux documents qu’elle publie, quelles que soient les stratégies des acteurs du marché du logiciel. D’autres enjeux pour les collectivités sont la maîtrise des coûts, la sécurité informatique, l’aide au développement d’une économie créatrice d’emplois locaux et la réduction de la fracture numérique. Grâce à leur mode de développement communautaire, les logiciels libres sont plus fiables et plus stables. L’accès au code source permet aussi d’offrir de meilleures garanties en termes de sécurité. Une telle démarche peut, par exemple, permettre une meilleure compréhension de la nécessité et des enjeux que revêt l’ouverture des données publiques en matière de transparence et de participation citoyenne.

800px-carte_conceptuelle_du_logiciel_libre.svg.png

Démarches et prérequis

Un accompagnement et une sensibilisation sont les facteurs clés du succès.

Comme avec tout projet informatique, les utilisateurs/trices sont parfois dérouté-es face au changement d’outils. La formation est donc indispensable.
En matière de logiciels libres et de standards ouverts, la sensibilisation des utilisateurs revêt une importance toute particulière. La connaissance des enjeux spécifiques ainsi que des opportunités offertes par les libertés associées au LL permettent d’associer les utilisateurs à la démarche de la collectivité et de les intéresser, de les faire participer à l’élaboration de ces outils.
Les élu-es écologistes qui ont entamé des démarches de mise en place du logiciel libre dans leur collectivité se sont tous retrouvé confrontés au même problème : les résistances de la direction des systèmes d’informations (DSI). Avoir une bonne connaissance du sujet est essentiel pour pouvoir sensibiliser les informaticiens. L’idéal est même d’avoir des relations avec le directeur général des services suffisamment bonnes pour qu’il vous laisse travailler plus directement avec la DSI.
En ce qui concerne l’accompagnement, il y a plusieurs possibilités. L’une d’entre elles est de se rapprocher des associations dont l’objectif est la promotion, ainsi que l’accompagnement dans le choix d’offres de services liés aux logiciels libres. En voici quelques-unes :

  • L’AFUL (Association Francophone des Utilisateurs de Logiciels Libres). L’AFUL a récemment édité un site internet sur les offres libres. « OFFRE LIBRE » est une marque déposée par l’AFUL. Elle offre des garanties concernant les offres de logiciels libres.
  • L’ADULLACT (Association des Développeurs et des Utilisateurs de Logiciels Libres pour les Administrations et les Collectivités Territoriales) et sa forge logiciel.
  • L’APRIL (Association pour la Promotion et la Recherche en Informatique Libre).

Un premier pas peut être l’adhésion à l’une ou à toutes ces associations pour afficher son soutien aux logiciels libres et ainsi bénéficier de conseils.

Il est aussi possible de passer par un appel d’offre. En effet, dans un arrêté du 30 septembre 2011, le Conseil d’Etat a statué que mentionner explicitement la volonté d’une collectivité d’utiliser des logiciels libres n’excluait officiellement personne de l’appel d’offres, d’autant moins que l’utilisation de logiciels libres permet à toute entreprise spécialisée d’adapter ces logiciels aux besoins de la collectivité.

Pour aller plus loin

Vous êtes déjà adepte des LL? Vous les avez préconisés dans votre collectivité? Alors vous pouvez commencer à penser au matériel libre. Au travers de partenariats, il est envisageable de promouvoir auprès d’associations l’utilisation de matériel récupéré et reconditionné… A Brest, par exemple, des ordinateurs recyclés sous Linux sont proposés aux habitants dans les dispositifs Internet pour tous déjà déployés dans 5 quartiers de la ville en partenariat avec des associations.
Passer de l’ère du LL à l’informatique libre est un maillon d’une économie circulaire !

Quelques exemples

Voici quelques exemples d’élu-es porteurs/euses de changement en matière de logiciel libre [[Merci à Laurence Comparat, Philippe Mussi, Michel Cadiou, Michel Briand, Jean- Marie Chosson, ainsi qu’à celles et ceux ayant bien voulu répondre à mes questions.]]

LA VILLE DE BREST
Michel Briand, ancien conseiller municipal de Brest, ancien vice-président de Brest Métropole Océane en charge de l’économie sociale et solidaire et de l’aménagement numérique du territoire, membre du Conseil National du numérique


A Brest, Michel Briand a réussi, en lien avec la Direction Informatique et Télécoms (DIT), à faire utiliser des suites libres dans les écoles. En revanche, malgré ses convictions, la DIT utilise toujours le système d’exploitation Windows.
La majorité du travail sur le libre à Brest est fait en direction des associations avec La maison du Libre et Infini, un hébergeur associatif, qui proposent un accompagnement et une plateforme de services, Libr@net, ouverte à tous (adresse courriel, listes de diffusion, wiki, wordpress, spip, médiaspip etc.).
L’accompagnement se fait :

  • au travers d’ateliers et plus si des besoins spécifiques s’expriment ;

  • avec wiki-brest sur la question de l’écriture et des licences (et une permanence hebdomadaire à la cantine numérique) ;
  • via l’appel à projets annuel.

Des informations, accompagnements sont disponibles sur les sites internet Wiki-Brest et @ Brest.
Le libre a surtout percé autour de l’e-administration grâce au partenariat entre l’Adullact et Mégalis Bretagne qui rassemble les collectivités bretonnes au service d’un projet d’aménagement numérique du territoire et du développement de services numériques. La plupart des logiciels développés et qui sont utilisés dans les collectivités en Bretagne sont en libre.

LA VILLE DE GRENOBLE
Laurence Comparat, adjointe Open data et logiciels libres

La volonté de la ville de Grenoble est d’aller vers le libre pour promouvoir la culture de l’élaboration collective de la connaissance, l’ouverture et la maîtrise des outils informatiques dans toutes leurs dimensions. Une expérimentation est en cours pour passer les écoles au libre, système d’exploitation compris avec Ubuntu. Une école pilote est accompagnée dans cette démarche par des prestataires internes et externes. Dans les services de la ville, Laurence Comparat saisit les opportunités. Par exemple, le logiciel de gestion des délibérations a été changé pour passer à Web-delib pour pouvoir fonctionner avec LibreOffice.
Enfin, la ville de Grenoble a entrepris des démarches pour adhérer à l’APRIL et à l’ADULLACT.

LA RÉGION RHÔNE-ALPES
Jean-Marie Chosson, conseiller régional, ancien adjoint de Romans-sur-Isère

La région Rhône-Alpes a adhéré à l’APRIL et à l’ADULLACT dont Jean-Marie Chosson est administrateur.
Un groupe de travail a travaillé sur le passage au logiciel libre. La démarche a été engagée après l’obtention d’un amendement budgétaire pour faire réaliser une étude sur le passage au libre par la société LINAGORA.
Durant son mandat d’adjoint, Jean-Marie Chosson a aussi engagé des transformations au sein de la ville de Romans-sur-Isère et de la Communauté d’agglomération Valence-Romans Sud Rhône-Alpes. A titre d’exemple, les nouveaux ordinateurs destinés aux écoles sont installés sous Linux. Les changements se sont accompagnés d’améliorations des outils, de confort d’utilisation. (Pour aller plus loin : Logiciel libre en Rhône-Alpes : enfin une lumière au bout du tunnel ?)

LA RÉGION PROVENCE-ALPES-CÔTE-D’AZUR
Philippe Mussi, conseiller régional délégué à la recherche et l’économie numérique

La région PACA est adhérente à l’APRIL. Tout comme en région Rhône-Alpes, le passage au libre s’est fait suite à une délibération par amendement budgétaire. Si les lycées les utilisent déjà, ce n’est pas le cas des services de la région. En effet, la direction des services informatiques est encore très réticente.

Michel Cadiou, adhérent EELV, membre du CA de l’AFUL/ADULLACT

« L’intérêt de l’utilisation des logiciels libres peut être résumé en quelques mots : liberté, transparence, indépendance, équipe, ouverture, tenu dans le temps des formats (c’est un sujet très important car l’impossibilité de lire des fichiers anciens avec les nouvelles versions des logiciels va devenir un vrai problème dans certains services), etc. A cela s’ajoute la plupart du temps le coût (le coût des logiciels libres, contrairement à celui des logiciels propriétaires, est non prohibitif) qui est malheureusement souvent la raison mise en avant par les trésoriers/décideurs pour un passage aux LL. On arrive donc à de bons résultats par des mauvais moyens. Il serait intéressant d’apprendre aux élu-es la pertinence, la fiabilité, l’écologie apportées par les LL par rapport aux logiciels privateurs/propriétaires. »

Télécharger cette fiche en PDF

fiche-logiciels_libres_web2.pdf